A travers cet article, la psychologue clinicienne – psychothérapeute Nathalie Neyrolles nous éclaire sur les aspects psychologiques liés au lipœdème.
Si le lipœdème peut se manifester après une grossesse ou lors de la ménopause, c’est surtout au moment de la puberté que cette maladie chronique et évolutive apparaît.
Il s’agit dès lors de faire face non seulement aux bouleversements à la fois physiologiques et psychologiques qu’impose la puberté mais aussi d’apprivoiser cet intrus venu se loger en soi.
Rappelons en effet que la puberté marque le passage entre une identité constituée depuis l’enfance et cette nouvelle identité d’adulte en attente de repères pour se constituer définitivement.
L’image du corps est bouleversée notamment comme repère spatial :
« l’adolescent est un peu comme un aveugle qui se meut dans un milieu dont les dimensions ont changé » (A.Haim).
L’activité pulsionnelle s’éveille psychiquement et physiologiquement, le corps opère sa métamorphose que l’adolescent doit intégrer sans que cela aille de soi.
À la puberté, ce corps, pourtant familier devient un étranger et si avoir et être un corps, c’est-à-dire à la fois se sentir en possession de son corps et incarner ce corps, s’éprouver à travers lui comme sujet, semble aller de soi, il en va autrement non seulement lors du passage adolescent et cela devient d’autant plus problématique lorsque le sujet est atteint de lipœdème : avec l’accumulation des graisses principalement au niveau des membres inférieurs, entraînant une dichotomie du corps, comment en effet, faire sien, un corps qui ne semble pas unifié, aux contours flous ? Comment s’approprier ce corps lorsqu’il paraît insaisissable, inquiétant voire effrayant ? Comment faire sien, un corps qui ne correspond pas à l’image du corps que l’on voudrait avoir ? Le lien entre le corps et le Moi est menacé, tout comme l’identité du sujet.
Un corps à apprivoiser
Le sujet atteint de lipœdème tentera de maîtriser ce corps qui échappe, d’avoir une emprise sur lui, pour contrôler à la fois sur les sources d’excitations pulsionnelles et les changements physiologiques qui s’opèrent pour ce qui est du passage adolescent mais aussi pour tenter de délimiter ces contours restés flous par le lipœdème.
Malgré tous les efforts consentis pour tenter d’allier le corps idéal et le corps réel, le corps ne répond pas : malgré les régimes draconiens, l’activité physique, subsiste un corps disproportionné, avec des zones du corps qui échappent à tout contrôle : lorsque le corps trahit, il semble difficile de maintenir le lien entre le Moi et son corps, à être bien « dans sa peau ».
Les transformations et les étrangetés de l’adolescence ébranlent déjà pour un temps cette unité narcissique mais le lipœdème amplifie cette fracture et le sujet risque l’effondrement.
Dépossédé de son corps, le sujet atteint de lipœdème le soumettra aux professionnels de santé, ne sachant plus quoi penser de lui, afin de savoir comment il fonctionne, quelles sont ses possibilités, etc.
Le lipoedème et les professionnels de santé
Le lipœdème est une maladie rare et largement méconnue des professionnels de santé, qui la confondent bien souvent avec une simple obésité. Il faudra bien souvent des années d’errance médicale avant que le sujet atteint de lipœdème rencontre un professionnel spécialisé dans cette pathologie pour enfin la nommer.
Mais le diagnostic de la maladie n’efface pas pour autant la souffrance psychologique que cette maladie engendre, il l’explique seulement d’un point de vue médical, il donne un repère qu’il s’agit de s’approprier : être atteint de cette maladie chronique est une caractéristique que le sujet va devoir inscrire dans son identité.
Le corps, notre être au monde
Le corps n’est pas seulement cette réalité physique de chair et d’os, « c’est aussi le support du Moi et celui que je suis pour autrui » (Birraux,2004) Pour Schilder, le corps représente le véhicule de l’ « être au monde », il est au centre des échanges relationnels affectifs entre individus.
Dans une société qui cultive le culte de la performance, du corps svelte et musclé, le corps qui ne répond pas aux normes représente une agression, il est rejeté comme s’il représentait une menace pour sa propre intégrité :
« Un sentiment d’agression s’impose, comme si la vision d’une morphologie déviante était porteuse d’une violence comparable à l’agression physique » (P.Ancet, 2006).
Nous n’acceptons pas en lui cette image abîmée de nous-mêmes.
Il subsiste également un malentendu en ce qui concerne les personnes en surpoids : le rapport qui paraît chaque année sur l’évolution de l’obésité en France (Obepi) met en corrélation la pauvreté et le faible niveau d’éducation comme facteurs déterminants de l’obésité. Il s’en est suivi dès lors des campagnes de prévention axées sur l’éducation nutritionnelle et l’activité́ physique ; en d’autres termes, si une personne est en surpoids, c’est en raison de sa paresse, son manque de volonté ou encore de sa gourmandise voire sa gloutonnerie.
Nous saisissons dès lors à quel point le rapport au monde des personnes atteintes de lipœdème peut être source de souffrance.
Pour conclure cet article : lipœdème – les aspects psychologiques
Le lipœdème bouleverse l’image que la personne a de son corps et son rapport à celui-ci. Cette maladie chronique est une particularité pourtant que le sujet va devoir inscrire dans son identité.
La souffrance psychologique liée au fait de vivre avec un lipœdème peut être incommensurable : la personne atteinte de lipœdème est souvent jugée, moquée, incomprise, ce qui favorise la faible estime de soi et met la confiance à mal. Désemparé face à cela, le sujet atteint de lipœdème pourra connaître des épisodes dépressifs, anxieux et des troubles de la conduite alimentaire.
La maladie est une expérience subjective, elle est un événement à la fois physique et psychique, c’est la raison pour laquelle, la prise en charge psychologique des personnes atteintes de lipœdème est tout aussi fondamentale que la prise en charge physique.
L’accompagnement psychologique tout au long de la procédure de l’intervention chirurgicale aura pour objectifs de restituer la maladie dans la vie, mais aussi de parvenir à accepter les contraintes que cette maladie impose, de renforcer l’identité restée vacillante, de retrouver l’estime et la confiance en soi et apprivoiser, s’approprier enfin son corps.
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